Saint Antonin Demain

Saint Antonin Demain

Comment un petit village du Quercy trouve "les recettes du bonheur"

Lundi 16 septembre 2013

Ce soir le cirque est en ville, le grand barnum Spielberg a jeté son dévolu sur le site médiéval de Saint Antonin. Blotti au creux des gorges de l’Aveyron, à la limite entre Quercy et Rouergue, autrefois rattaché au département de l’Aveyron avant la création du département du Tarn-et-Garonne en 1808, au cœur d’un triangle reliant Cahors, Montauban et Albi, le village de Saint Antonin s’est transformé, l’espace de deux semaines, en studio « hollywoodien »  à ciel ouvert comme l’a fort justement souligné Télérama.

Le célèbre producteur américain Steven Spielberg (Duel,   E.T., Indiana Jones, Jurassic Park, la liste Schindler) entouré d’Oprah Winfrey et du réalisateur suèdois Lasse Hallström (« le Chocolat avec Juliette Binoche et Johny Depp) a choisi de situer la partie principale de son film « les Recettes du Bonheur » et notamment l’intégralité des scènes de marché au cœur du petit village tarn-et-garonnais (mis à part la toute première scène qui se déroule sur un marché en Inde) .

« Les Recettes du Bonheur » initialement intitulé « le Voyage de 100 PAS » (The Hundred Foot Journey) porte un regard empreint de poésie, une vision parfois onirique de Saint Antonin où les haines recuites se transforment en histoires d’amour. Cela tient parfois du conte de fées !

SAINT ANTONIN, VILLE DE … LUMIERE !

Dans le texte original du roman « le voyage de 100 pas » qui a servi de matrice au film, l’action se déroule à …Lumière, village du Jura. Grace à l’insistance de la municipalité, le nom de Saint Antonin a été conservé (et prononcé à plusieurs reprises) dans le film.

En dévalant le Roc Deymié (la colline « inspirée » de Saint Antonin, d’aucuns préféreront les Solitudes d’Anglars ou les voies mégalithiques du Cirque de Bône), la famille indienne, chassée de son pays après des remous politiques et religieux (son restaurant a été incendié), poursuit sa quête effrénée d’un bonheur perdu avec lequel elle va renouer dans un village médiéval du sud-ouest de la France, quittant l’Angleterre où «  les légumes n’ont pas d’âme ! » …

Alors que le Causse alentour sommeille, écrasé de chaleur, les ruelles fraîches du village abritent les promenades romantiques du coupe formé par les deux « chefs » un temps rivaux (Charlotte LEBON pour le Saule Pleureur –restaurant étoilé- et Manish Dayal pour le nouveau restaurant indien).

PETITE CHRONOLOGIE DES EVENEMENTS

Mercredi 7 aout 2013

Découvert sur Internet ce titre de « la Dépêche du Midi » : Saint Antonin Noble Val : une production américaine recherche 800 figurants dans le Quercy ! Le tournage de ce film aura lieu principalement à Saint Antonin Noble Val du 10 au 26 septembre 2013, Albi et Castelnau de Montmirail.

Helen Mirren, Oscar de la meilleure actrice 2006 pour son interprétation de la reine Elisabeth II dans « the Queen » de Stephen Frears, tiendra le rôle principal aux cotés de Charlotte LEBON (ex-présentatrice météo sur Canal) et de Michel Blanc.

Lasse Hallström, le réalisateur suédois du film a été sélectionné aux Oscars pour son opus « Ma vie de chien » en 1985 ; également nominé en 2001 pour « le Chocolat ».

Lundi 12 aout

Salle Polyvalente Saint Antonin – Début d’après- midi d’une chaude journée d’été. Effervescence pour le « casting » des figurants. Petit questionnaire à compléter, question subsidiaire : « avez-vous déjà eu une expérience de marché ? »  Réponse : « Oui, 30 ans de marché dans le Tarn-et-Garonne et notamment tous les dimanches à …Saint Antonin  en tant que bouquiniste. » Réponse sans doute décisive pour la suite …

Jeudi 15 août

Ce matin (5 heures), le ciel brille de mille feux sur les Causses du Quercy ! Etoiles et …Toile !

Mardi 3 septembre

Le Porge Océan – Début d’après-midi : message de Maxence (Gem Films) sur mon téléphone mobile me proposant une participation    en tant que « figurant » du 17 au 20 septembre. Hésitation (de courte durée). Maxence me précise que les journées de tournage sont très longues…parfois 12 heures ! Et les rémunérations autour de 75 euros par jour. Les essayages des tenues sont fixés au lundi 9 septembre à Albi.

Lundi 9 septembre

Albi- Sortie Route de Millau – 9 Heures

Muni de deux tenues distinctes, je me présente au « studio d’essayage » qui ressemble à une immense friperie installée dans un entrepôt industriel. Je me retrouve au milieu d’un alignement de penderies où s’empilent robes, manteaux, vestes de cuir, blousons etc… Des montagnes de chaussures jonchent le sol. L’habilleuse – après avoir consulté ses collègues- choisit méticuleusement ce qui sera ma tenue de « figurant » tout au long  des quatre jours de tournage : vieille chemise à carreaux, élimée aux poignets, pantalon multi-poches couleur « rouille » et gilet sans manches.

Dans l’annonce il était précisé : « Pensez vendeur sur un marché en mi-saison, l’idée est que nous sommes dans les années 1990 ! »

« Très bon contact » conclut l’habilleuse !  Je demande si je peux aller chez le coiffeur avant le début du tournage : « Non, non, ne changez rien ! Il y aura sur place des coiffeuses et des maquilleuses ! »

Vendredi 13 septembre

9 h 40 – Mail de la production (GEM Films) : « Rendez-vous Tournage, mardi 17 septembre 6 h 30 du matin, salle des fêtes, face à la Poste. Si vous êtes frileux, prenez des (…) Damart ou vêtement chauds. Photos interdites sur le tournage. Ne pas venir accompagné»

12 h 40 – Nouveau mail de la prod’ : « N’oubliez pas votre (…) R.I.B. 

Lundi 16 septembre

« Si vous avez un parapluie, merci de l’apporter/ Tournage maintenu même si mauvais temps ! »

                    SE SOUVENIR DES BELLES CHOSES …

Avant que le temps ne commette son œuvre de dispersion des souvenirs, garder au plus profond de soi la rémanence des émotions et des sentiments, graver dans le marbre le souvenir des belles choses …

Aux images parfois plus belles que la réalité qu’elles décrivent …

 

Mardi 17 septembre

Place des Moines- 6 h 30 – Petit matin gris aux senteurs automnales –

Emotion en pénétrant sous l’immense chapiteau dressé place des Moines par la société de production ! Signature du contrat de travail, rituel qui va devenir immuable chaque matin : inscription sur la feuille de présence, petit déjeuner (café, gâteaux) et – ce préambule terminé- direction la salle des fêtes toute proche pour la séance habillage.

A l’occasion de ce 1er jour de tournage, la foule des figurants est nombreuse à se presser sur les marches de la salle des fêtes (plus de 150 personnes le mardi, environ 80 le mercredi et de moins en moins au fil des jours).

Je reconnais l’habilleuse qui m’a accueilli à Albi, elle ajoute une blouse à ma tenue, mes effets personnels sont rangés sur un cintre  n° 140, enveloppés dans un emballage plastique !

Prochaine étape : maquillage ! Là, qu’elle n’est pas ma surprise de me voir affublé d’une splendide moustache qui va vite devenir l’objet de toutes les attentions ! Tout au long de ces 4 jours de tournage, les différentes maquilleuses (au nombre de 5) n’auront de cesse de se relayer pour recoller, réajuster, ciseler, tailler, affiner cet appendice qui me transforme en Gaulois mode Astérix ! Dernière étape : poudrage et « patine », petit coup de pinceau sur les vêtements et les cheveux.

Samia, responsable du casting, m’intercepte pour me demander si je me sens prêt à « dialoguer » avec les acteurs…Devant mon hésitation, elle en conclut que je suis un peu « timide » …

Le long cortège des figurants se dirige ensuite vers le « plateau » du tournage, arpentant lentement les rues étroites de Saint Antonin en direction du cœur historique du village après un passage « obligé », petit clin d’œil, à côté du Cinéma le QUERLYS.

Mardi 17 septembre

Place de la Halle –

C’est au milieu d’un magnifique déploiement de couleurs et de saveurs que nous investissons la Place de la Halle, lieu du tournage des scènes de marché. De nombreux étals ont été dressés avec goût : tomates, pamplemousses, oranges, myrtilles, framboises et citrons rivalisent dans une palette de couleurs flamboyantes ; que dire de la luxuriance du banc de poissons, de volailles ou de champignons ! On se croirait plutôt devant un tableau de Breughel ou de Jérome Bosch que devant un marché des années 1990 !

Je me souviens du marché du dimanche qui ressemble tant et en même temps …si peu au marché des « Recettes du Bonheur ».

Je me vois confié un étalage d’agrumes.

L’équipe du réalisateur se met en place tranquillement

. Chaque matin, nous assistons à une lente montée en puissance mais une fois en place, l’impression de voir fonctionner une ruche toujours en mouvement.

Aujourd’hui : tournage d’une scène de marché très « mobile ». Charlotte LEBON, accompagnée du jeune acteur indien, parcourt rapidement les différents étals dans le but de ravitailler son restaurant « le Saule Pleureur » en produits frais.

Le metteur en scène (Mischka) me donne les consignes : je dois « balayer » le stand de droite à gauche dans un mouvement de va et vient pour servir différents clients tout en guettant l’arrivée de la caméra qui suit Charlotte. Les choses s’accélèrent : je suis équipé d’un micro et on m’annonce que je vais avoir un dialogue avec Charlotte.

Effervescence autour du stand tandis que m’active à servir pommes, citrons et pamplemousses à mes « clients ».

« En place! Silence! Stand-by guys ! Moteur demandé! Here we go ! ACTION ! Roll!

Partez figuration ! Coupez !” Mischka égrène les ordres d’une voix tonitruante équipé de son porte-voix !

Charlotte et Manish Dayal déboulent à l’angle de mon étalage suivis d’une cohorte de caméramen, perchistes et autres techniciens.

Charlotte (Marguerite dans le film) : « Bonjour Jean-Bernard ! Comment allez-vous aujourd’hui ?.....Vous pourrez me mettre 2 kilos de citrons …vous savez les citrons à la peau lisse ! Vous pourrez me les dé-livrer( !) avant 9 heures, au restaurant le Saule Pleureur ! –Avant 9 heures ! Très bien …Merci !

Coupez ! Prise ! Re-prise !

Charlotte vient me voir entre deux « prises » dans le but de régler nos interventions respectives et éviter que nos voix ne se chevauchent !

A nouveau tête à tête avec Charlotte et Manish mais cette fois la caméra s’installe en position fixe juste devant l’étalage. Gros plan ! Toute l’équipe prend place (réalisateur, metteur en scène, caméraman, perchiste), cette fois plus de doute : je suis sur le grill !

Action ! Coupez !

Linus, le 1er caméraman, vient me voir pour me « positionner » un peu à l’extérieur du parapluie de marché (éclairage ?) et m’indique un point à ne pas dépasser pour ne pas obturer le « champ » de la caméra.

Mischka : « Jean-Bernard, regardez les acteurs, ne regardez pas la caméra ! » ; il est vrai qu’à deux reprises mon regard a glissé entre les acteurs vers ce gros œil qui me scrutait !

Lasse Hallström me félicite, le pouce levé « Great, Jean-Bernard » …OUF je suis rassuré !

La journée se termine assez tard, il est plus de 20 heures quand je dépose ma moustache !

A la manière de … Georges  PEREC  (écrivain français 1936 / 1982)

                        Je me souviens …

Je me souviens du réalisateur Lasse HALLSTROM me demandant ce qu’étaient les mains de Bouddha, un agrume figurant sur mon stand ! Et de l’entendre dire au caméraman « Mais c’est un croisement entre une pieuvre (octopus) et un citron (lemon) ...

Je me souviens des nougats de Stéphanie pris d’assaut par les guêpes, des roses de Richard, des tournesols de Yolande qui plaisaient tant à Helen Mirren, des tisanes de Patricia, des olives d’Olaf et des légumes de Tiphaine et Nicolas !

Je me souviens de cette semaine de septembre, pluvieuse et fraîche où les scènes étaient tournées à la lumière artificielle des projecteurs !

Je me souviens de la semaine suivante où la pluie tombait drue sou un soleil éclatant et un ciel uniformément bleu (des rampes d’arrosage avaient été arrimées sur les murs pour déverser la pluie)

 Je me souviens d’un lever du jour simulé …à la tombée de la nuit sous l’effet de brumisateurs vaporisant du brouillard et d’un projecteur orange pour remplacer le lever du soleil. Cette très belle scène représentait l’arrivée des forains sur le marché, très tôt le matin.

Je me souviens de 30 ans de marché (32 ans aujourd’hui) sur les routes du Tarn-et-Garonne, de 4 jours de tournage pour le marché des « Recettes du Bonheur » et de quelques « précieuses » petites secondes à l’écran !

Je me souviens d’Helen Mirren (The Queen) claquant rageusement les talons en descendant les marches de la Halle : « Il n’y a plus de pigeons ! Vous n’êtes pas gentil avec moi ! »,  alternant une prise en français et une prise en anglais.

Je me souviens d’0m Puri, le Gabin indien de « la Cité de la Joie », déclamant son texte avec sa voix de stentor : « Mon fils est le meilleur cuisinier indien ! », je me risque : « c’est le Ravi Shankar de la cuisine ! »

Je me souviens de Michel Blanc, assis de longues heures à la terrasse du Café de la Halle, devant un verre de …blanc !

Je me souviens des 12 coups de midi retentissant à l’horloge du beffroi, interrompant une tirade d’Helen Mirren qui s’arrêta net dans un éclat de rire contagieux !

Je me souviens de la longue carcasse de Linus, le 1er caméraman, toujours plié en deux pour mimer ses cadrages, anticipant les prises de vue, ses deux mains dessinant une caméra imaginaire : « l’objectif de Linus est de caresser l’objectif comme un amant en extase, nos sens sont en éveil (magazine Rolling Stone).

Je me souviens d’un éclairagiste scrutant le ciel avec une grosse loupe : « A big  cloud is coming ! » (un gros nuage arrive) …Il faut accélérer les prises avant la pluie, la lumière va changer.

Je me souviens de l’œil géant de la caméra fouillant jusqu’au plus profond des âmes !

Je me souviens de Michel Blanc, réécrivant son texte, assis tout seul au café de la Halle.

Je me souviens de Mischka annonçant la fin de la quatrième journée de tournage, la plus exténuante, salué par une salve d’applaudissements.

Je me souviens de Lasse Hallström se déplaçant accompagné de sa scripte, Dominique, dans leur petit chapiteau mobile pour suivre chaque scène de plus près.

Je me souviens des excellents repas servis chaque midi sous d’immenses chapiteaux.

Je me souviens de cette phrase d’Oprah Winfrey : « Cette histoire élève l’âme ! »

 

                                                                                Jean-Bernard MARC

                                                                                   Bouquiniste

                                                               (marchés de Saint-Antonin, Gaillac, Montauban, Caussade)



03/03/2016
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